L'Islam et les systèmes
économiques
Le Coran ne prescrit aucune forme obligatoire de gouvernement, ni de système
économique. Il fournit plutôt une base éthique avec des implications.
Or la découverte de ces implications fait l'objet d'une vive discussion
chez les musulmans modernes. Puisque notre examen de l'économie politique
de la société islamique classique n'explique pas l'assertion apparue
au 20ème siècle selon laquelle la pensée islamique porte
en elle les germes du socialisme, je vais résumer ici mon analyse de cette
question (cf. Ahmad 1986, 485-489). Parce que les injonctions de l'Islam protégeant
la propriété privée sont tellement fortes, les musulmans
de gauche tentent de justifier leur version du socialisme à l'aide des
préceptes islamiques de fraternité et la prohibition de riba. Par
exemple, Shaikh Ameer Ali (1982, 14) écrit :"Certes, l'Islam encourage
le travail, stipule la responsabilité devant Dieu, ordonne l'honnêteté
dans les relations entre hommes et la prudence dans les dépenses, souligne
l'ordonnancement méthodique du temps et le calcul rationnel, et approuve
les gains légitimes et l'accumulation de richesses ; mais il prescrit également
des obligations et des responsabilités en ce qui concerne les parents,
la famille, les orphelins, les pauvres et les membres de la Umma. La loi islamique
sur l'héritage, l'institution du zakat et dans un certain sens même
l'interdiction de l'usure, sont des mécanismes intrinsèques destinés
à empêcher les richesses de tourner dans un cercle restreint. L'esprit
islamique véritable est en conséquence anti-capitaliste."
L'aspect anti-marché de la pensée islamique ne vient pas d'une conception
erronée de l'Islam, mais avant tout d'un malentendu sur l'économie
de marché. Cela n'a pas empêché les théoriciens musulmans
de rejeter rapidement l'élément clé du socialisme : la propriété
collective des moyens de production. Ils voudraient lui substituer une synthèse
qui permet de concilier l'entreprise libre du libéralisme classique avec
les objectifs positifs du socialisme, en laissant de côté l'inconsidération
capitaliste et l'autoritarisme socialiste. Ainsi, Muhammad Ali (1944, 30) rejeta
le communisme pour avoir "appliqué à l'extrême la théorie
fasciste en privant l'individu à la fois de sa liberté et de sa
propriété", tout en critiquant les partisans de la démocratie,
qui malgré "leur théorie magnifique" opprimaient "plus
de la moitié de l'humanité". Même un "socialiste"
comme Muammar Khadafi n'est pas opposé à la conception coranique
de la propriété privée : "Le socialisme, tel que nous
le concevons, implique que nous participons tous de manière égale
à la production, au travail et à la répartition des produits
... de sorte que cette activité devienne une sorte de prière, et
pour que les fruits du travail ne restent pas le monopole d'une seule catégorie
de personnes ..." Alors que le mot 'socialisme' ... a été utilisé
en Occident pour désigner l'appropriation par la société
des moyens de production, ce même mot en arabe signifie association et travail
en communauté." (Waddy 1976, 52) La confusion de la justice sociale
islamique avec l'idée occidentale du socialisme est illustrée dans
l'article de Mauloud Kassim Nait-Belkaiem, "Le Concept de Justice Sociale
dans l'Islam" (1978, 134-152). Il décrit la difficulté qu'eut
Omar à trouver des gens assez pauvres pour bénéficier du
zakat (149), puis il cite Muhammad al-Mubarrah : "Dire que l'Islam ne contient
pas de socialisme est ignorer la nature du socialisme, et démontrer en
outre une incapacité de comprendre les leçons et les objectifs de
l'Islam" (150) Nait- Balkaiem ne peut appliquer l'étiquette du "socialisme"
à la justice sociale islamique qu'en passant sous silence le principe coercitif
du socialisme. Il déclare ouvertement qu'il le fait afin d'attirer les
jeunes gens influencés par la culture occidentale : "Attachons à
cette justice sociale n'importe quel nom, même celui de 'socialisme', puisque
c'est celui que les jeunes préfèrent de nos jours, pourvu qu'elle
garde son acception originelle ..." (150). Le courant majoritaire de la pensée
musulmane au 20ème siècle n'a été ni capitaliste,
ni socialiste, mais il ressemble à une tentative d'imiter les Etats-Providence
européens. La pensée islamique classique en matière d'économie
politique confère un rôle limité à l'Etat. Les dérives
par rapport à ce modèle qui dominent le monde musulman actuel sont
motivées par un désir de développement industriel rapide
par les moyens que les décideurs politiques pensent efficaces. La renaissance
islamique actuelle est un phénomène qui s'oppose largement aux régimes
socialistes. Les tendances anti-occidentales expriment principalement une opposition
à ce qui est perçu comme un impérialisme manifesté
par des régimes autoritaires ou étrangers, imposés ou défendus
par les Etats occidentaux.
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