Politique monétaire
Les économistes musulmans contemporains
consacrent beaucoup d'efforts à débattre sur la possibilité
d'autoriser le prêt avec intérêt (Ahmad 1993), mais ils laissent
de côté la question plus large de la politique monétaire.
Cela est frappant, puisqu'une monnaie saine est une condition fondamentale d'une
économie saine. Même Omar trouvait problématique la question
de l'usure (riba). Il considérait que tout intérêt sur l'utilisation
de l'argent était usurier, et son fils voyait d'un même oeil le métayage.
Cependant, non seulement le Prophète lui-même et les premiers califes,
mais aussi l'ensemble des gouvernements musulmans pendant les premiers siècles
de la civilisation islamique, acceptaient la nécessité de disposer
d'une monnaie saine.
Le Prophète lui-même n'a jamais déprécié la
monnaie, ni autorisé l'émission de monnaie sans contrepartie. Il
a déterminé des prix critiques en termes de biens monétaires,
favorisant en particulier les trois devises fortes de l'époque en Arabie
: l'or, l'argent et le blé.
Les premiers califes adoptèrent sans exception ce principe, qui est resté
la règle jusqu'à ce que
la civilisation islamique commence à s'effriter à la fin du millénaire.
Cahen (1981, 318) écrit : "Jusqu'en l'an 1000, l'émission de
monnaie était, sauf circonstances exceptionnelles, saine et la monnaie
circulait à sa valeur nominale ou presque, avec des pièces en provenance
d'autres Etats musulmans qui étaient acceptées par les marchés".
Lors qu'arriva le moment où le papier-monnaie a été adopté
par le monde musulman, il s'agissait clairement d'un concept importé. En
1294, le visir de l'Ilkhan Gaïkhatu tenta de résoudre le problème
du déficit de l'époque par l'émission de "papier-monnaie,
suivant l'exemple chinois. L'expérience fut un échec complet, puisque
les gens ont refusé d'accepter les billets. L'activité économique
s'arrêta net, et l'historien perse Rashid ud-din parle même de la
'ruine de Basra' qui suivit l'émission de la nouvelle monnaie". (Ashtor
1976, 257).
La porte à la dépréciation monétaire fut ouverte au
siècle suivant, lorsque le taux de change argent/or subit sa première
modification sérieuse depuis l'avènement de l'Islam. Au cours des
premiers siècles de l'Islam, le taux se situait toujours environ à
20 pour 1. Mais au 13ème siècle, les fluctuations du marché
conduisaient les sages à réévaluer officieusement le taux
à 10/1, même si le taux officiel restait fixé à 20/1.
A mesure que les réserves en argent chutaient après 1380, le taux
de change du dirham contre le dinar désormais dévalué baissait
de 1/20 à 1/25, puis à 1/30 (Ashtor 1976, 35). Au début du
15ème siècle, l'émission de dirhams en argent cessa. Al-Makrizi
en rend responsable un dignitaire de la cour qui essaya "de s'enrichir par
la frappe de pièces en cuivre" (35). La crise monétaire fut
accompagnée de famine et d'une guerre civile prolongée. Ceci entraîna
la levée d'impôts supplémentaires pour équiper les
armées et mater les révoltes à répétition.
Les taux d'intérêt ont augmenté de 4-8% pendant les croisades,
jusqu'à 18-25% au 15ème siècle (324). Bien que "l'offre
d'or du Soudan occidental ne fût jamais interrompue", le Sultan Barsbay
dévalua le dinar en 1425 "pour la première fois dans l'histoire
du Proche-Orient musulman". Jusqu'alors, le dinar était resté
une pièce d'or pesant environ 4,25 grammes. Avec la dévaluation,
un dinar de 3,45 grammes appelé al-Ashrafi "restait la pièce
d'or de l'Egypte jusqu'à la fin du règne des Mamelouks". C'était
là le poids du ducat européen, ce qui montre le glissement de l'étalon
monétaire musulman vers l'Occident chrétien ascendant.
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